Faire usage à la fois des intérêts, des droits et des obligations (partie1)

Jean H.Gagnon

Jean H.Gagnon

Avocat | Médiateur | Arbitre

Introduction

Dans les deux articles précédents, nous avons examiné les mécanismes de gestion de différends qui privilégient la recherche d’une solution en fonction des intérêts des personnes impliquées plutôt que de leurs droits.

Avec le présent article, nous nous attaquons maintenant à une deuxième catégorie d’outils de règlement de différends qui combinent à la fois une certaine recherche des droits et obligations des parties tout en favorisant encore un règlement basé sur leurs intérêts.

Premier mécanisme : La recherche des faits («Fact Finding»)

Un premier outil dans cette catégorie est la recherche neutre des circonstances à l’origine d’un différend.

Plusieurs experts en règlement de différends ont constaté que les parties à un litige avaient souvent chacune en mains une version différente, parfois complémentaire parfois contradictoire, des circonstances à la source du problème entre elles.

Cette constatation les a amenés à se poser la question suivante : «Comment des parties peuvent-elles en arriver à régler entre elles un différend si chacune a en mains une version différente des faits?» Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi ceci pose un obstacle important à la recherche d’une solution appropriée.

Pour permettre aux parties de franchir cet obstacle, on a conçu un outil de gestion de différend consistant à mandater une tierce personne indépendante, neutre et qualifiée pour procéder à une enquête neutre des faits et des circonstances entourant le litige et en présenter une même description à toutes les parties.

Ce tiers indépendant mandaté par toutes les parties au différend va donc recueillir l’ensemble des faits, des documents et des témoignages pertinents et tenter de faire ressortir de cet ensemble ce qui lui apparaît être la description la plus précise, complète et exacte possible des circonstances tel qu’il croit que celles-ci se sont le plus probablement déroulées.

Une fois que ce tiers a remis aux parties sa description neutre des circonstances pertinentes de leur différend, les parties peuvent alors se prévaloir des autres mécanismes de règlement des différends que nous avons vus (ou de ceux que nous verrons) en ayant en mains cet outil pour maximiser les chances d’un règlement raisonnable et acceptable.

Cet outil est particulièrement adéquat dans le cas où des parties ne s’entendent vraiment pas sur ce qui s’est produit et qu’elles ne désirent pas s’en remettre à la décision d’un tiers (un arbitre ou un juge) à ce sujet.

Notons aussi que, si tel est le vœu des parties, il est possible de demander à la personne qui procède à une recherche des faits de formuler aussi ses recommandations quant aux solutions qu’elle entrevoit au différend.

Deuxième mécanisme : L’évaluation neutre («Early Neutral Evaluation»)

Cet outil est un dérivé du précédent.

Dans le cadre d’une évaluation neutre, une tierce personne à laquelle toutes les parties au différend accordent leur confiance est mandatée pour leur fournir son opinion quant à leurs droits et obligations respectifs et quant à une ou quelques solutions qui lui apparaissent raisonnables et pertinentes dans les circonstances.

Au-delà de la recherche des faits et des circonstances du différend, cette tierce personne doit donc également faire part aux parties de ses recommandations, lesquelles peuvent porter sur l’un ou plusieurs des thèmes suivants :

 Les droits et les obligations de chacune des parties au différend;

 La responsabilité de chacune des parties au différend;

 L’évaluation des conséquences (notamment en termes monétaires) du différend;

 Les options et possibilités de règlement du différend qui s’offrent aux parties;

 Ses recommandations quant à une ou quelques solutions qui lui apparaissent raisonnables afin de régler le différend.

Les parties ne sont pas tenues d’accepter les recommandations formulées par cette tierce personne, mais, même si elles ne sont pas acceptées d’emblée, celles-ci servent souvent de base à des négociations ou à une médiation qui permettra, en fin de compte, d’en arriver à un règlement.

Comme pour la recherche des faits, il s’agit là d’un outil dont le but est de permettre aux parties d’avoir en mains des renseignements et des commentaires similaires d’une tierce personne neutre et crédible sur lesquels elles peuvent ensuite fonder leurs discussions ultérieures.

Troisième mécanisme : L’expertise

L’expertise est une forme d’évaluation neutre où la tierce personne mandatée est un expert dans le sujet du différend.

Il peut par exemple s’agir d’un expert en évaluation d’entreprise dans le contexte d’un différend entre actionnaires sur la valeur de leurs actions respectives, d’un ingénieur ou d’un architecte spécialisé en bâtiment dans le cadre d’un litige entre un maître d’œuvre et un constructeur, d’un ingénieur en logiciel dans le cas d’un litige portant sur le mauvais fonctionnement d’un programme informatique, etc.

En pratique, quoique pas à titre de mécanisme de règlement de différends, l’expertise est souvent utilisée dans le cadre de différends portant sur des questions d’ordre technique ou spécialisé.

Cependant, contrairement à ce qui se passe lorsque chacune des parties mandate son propre expert et où ceux-ci débattent ensuite entre eux, ou devant un arbitre ou un tribunal, de leurs conclusions, l’expertise peut être aussi utilisée comme outil de règlement non judiciaire d’un différend par voie d’une entente entre toutes les parties sur le choix d’un expert commun, neutre et indépendant qui remettra son rapport à toutes les parties afin, encore une fois, de leur permettre par la suite d’engager entre elles des discussions constructives afin de régler leur différend.

Il existe plusieurs variantes à l’expertise comme outil de règlement de différends.

Selon l’une de ces variantes, les parties s’engagent à ne pas utiliser devant un tribunal ou un arbitre le rapport de l’expert commun; selon une autre, l’expert propose aussi une solution qui lui apparaît raisonnable du différend et, selon une troisième, chacune des parties choisit d’abord son propre expert et, mais seulement si ces derniers en arrivent à des conclusions différentes, ces deux experts initialement choisis par les parties doivent ensuite s’entendre sur la nomination d’un troisième expert commun qui tranchera sur leurs points de divergence.

Comme tous les autres outils de règlement de différend, il est possible d’adapter l’expertise aux besoins et caractéristiques propres d’un différend en vue d’en arriver à un résultat permettant aux parties de cheminer vers un règlement mutuellement acceptable.

Quatrième mécanisme : La médiation évaluative

Nous avons précédemment vu que la médiation est l’un des outils privilégiés de règlement non judiciaire des différends.

Cependant, la médiation que nous avons examinée dans notre article précédent en est une où le mandat du médiateur consiste à faciliter les communications entre les intervenants et à assurer un déroulement professionnel, respectueux et efficace de leurs négociations.

La médiation évaluative est une variante de la médiation traditionnelle où le médiateur est choisi non seulement en raison de ses habiletés de médiateur, mais aussi pour sa grande connaissance du domaine dans lequel se produit le différend.

Muni à la fois de cette expertise et de ces habiletés, et jouissant de la confiance des parties, le médiateur est appelé, dans une médiation évaluative, à faire part aux parties de ses commentaires et de ses recommandations quant à des options de règlement qui lui apparaissent intéressantes et, parfois aussi, de ses commentaires quant aux chances de chacune des parties de gagner ou de perdre devant un tribunal ou un arbitre.

Il s’agit donc là d’une forme de médiation où le médiateur joue un rôle plus actif que dans la médiation traditionnelle en intervenant auprès des parties dans le but de les amener vers une solution qui lui apparaît raisonnable. Il s’agit cependant là d’une forme de médiation qui, bien qu’elle puisse être efficace dans plusieurs cas, demande un très grand doigté de la part du médiateur puisque, en intervenant de façon trop intempestive, il risque de perdre la confiance des parties et de diminuer ainsi de beaucoup les chances de règlement entre elles.

La médiation évaluative présente aussi le risque que le médiateur apporte au différend ses propres préjugés et qu’il tente, parfois de façon bien involontaire, d’imposer ou de vendre aux parties une solution qui lui apparaisse adéquate, mais qui ne soit pas celle pouvant le mieux satisfaire aux besoins et aux intérêts spécifiques des parties.

D’ailleurs, l’un des grands principes de la plupart des mécanismes non judiciaires de règlement des différends est que les parties elles-mêmes sont les personnes les mieux en mesure de décider ce qui répond le mieux à leurs attentes, à leurs besoins et à leurs intérêts.

Suite …

Nous poursuivrons, dans le prochain article, notre examen des mécanismes et outils de gestion des différends fondés à la fois sur les intérêts, les droits et les obligations.